Syna Awel, musicienne et chanteuse, est le symbole d’une parole libérée : c’est une femme qui ose, et qui a retrouvé ses racines kabyles grâce à la musique. Un métissage musical original donnant droit de cité à la « diversité » dans une période où certains antirépublicains confondent identité et culture car, en République, la première est toujours personnelle quand la deuxième constitue le ciment de la nation. Nous l’avons rencontrée.
Une vie sociale
Issue d’une famille nombreuse d’origine kabyle, Syna Awel est la cinquième parmi 9 enfants. Huit sœurs et un frère, mannequins, sportifs de haut niveau, chanteurs, danseurs, et surtout un père guitariste qui organise des concerts. Par conséquent, elle connait la scène dès l’âge de 6 ans, en chantant en 1e partie d’un musicien kabyle. Puis participe, comme de nombreux ados, à son premier groupe au lycée, avec lequel elle fait des reprises soul. C’est à la fin du secondaire, et durant sa fac de psychologie, qu’elle part en Espagne, et se découvre une passion pour la salsa et la musique hispanique. Elle y fera son dernier concert avec son groupe latino de l’époque, enceinte de plus de sept mois.
Elle marque alors une longue pause musicale et cherche un bon job. Pour convenir aux canons de la « bonne maman », nous dit-elle. Elle opte pour une formation de trois ans d’éducatrice spécialisée pendant laquelle elle enchaîne les petits boulots. Elle obtient un contrat aux Foyers de l’Enfance avant même d’être diplômée et y travaillera pendant presque trois ans. Mais elle n’arrive pas à supporter tous les drames du quotidien dont elle est témoin dans son travail. À 27 ans, elle opère alors un virage à 180°. Elle travaille au Palais des Sports de Nice, suit des cours de solfège et de piano pendant quelques années. Là, voyant que sa directrice, athlète de haut niveau démissionne de son poste pour retourner à sa passion, elle décide d’en faire autant et de retourner vers ce qui la fait vibrer : la Culture. Syna pense que nous devrions tous le faire ! On lui propose alors un poste d’assistante de direction au Théâtre Lino Ventura. La voilà dans un lieu de diffusion de musique, comme son père. La boucle est bouclée…
Retour à sa passion : la musique
C’est aussi à cette période, vers 30 ans, qu’elle réalise à quel point les concerts lui manquent et qu’elle reprend son cursus musical à l’occasion d’une rencontre avec un guitariste brésilien, Marcus Cecconi. Elle travaille un an avec lui, sur un 1er album.
Par la suite, le hasard est encore du côté de Syna : en été, le Théâtre Lino Ventura étant fermé, son régisseur lui propose de donner un coup de main sur les Nuits du Sud à Vence. Elle s’occupe de l’accueil des artistes, de logistique… Mais Jimmy Cliff, programmé le soir même, doit se rendre chez le médecin et Téo Saavedra, le responsable du festival, faisant confiance à Syna, il souhaite que ce soit elle qui l’y conduise. Une occasion rêvée pour échanger avec le célèbre chanteur jamaïcain. Dans la discussion, elle lui avoue que c’est en assistant à l’un de ses concerts, que son père avait organisé à Saint-Étienne, que l’envie d’être chanteuse a émergé. Intéressé, il finit par récupérer une clef USB avec la maquette de l’album sur lequel elle travaille depuis un an. Très peu de temps après, Dwight Richards, chef d’orchestre et bras droit de Cliff, l’appelle pour l’inviter à enregistrer à Miami. Elle s’y rend, mais le célèbre arrangeur veut également enregistrer le seul titre reggae de l’album dans le mythique studio Tuff Gong de Bob Marley, en Jamaïque, avec le duo Sly and Robbie, le pianiste Robbie Lyn, et sous la direction artistique de Dean Fraser ! Un moment incroyable pour elle qui ne chante pas de reggae, mais qui adore mêler les styles. On retrouve d’ailleurs son goût pour le métissage dans son dernier album, Awel, sorti en 2024 : chant kabyle, rythmes latinos, percussions orientales…
Au retour de toute cette aventure, elle prend contact avec David Benaroche qui dirige La Ruche, un label s’occupant des musiciens émergents. Il écoute et apprécie la voix et les instrumentaux, et lui pose plusieurs questions : pourquoi chante-t-elle en anglais ? Qui est-elle ? Que veut-elle dire exactement ? Elle est interpelée, car elle suit à cette époque une psychanalyse et ces questions sont essentielles dans sa démarche. Elle décide alors de faire un long chemin de réappropriation de ses origines – car, comme dans beaucoup de familles d’immigrés, on ne parlait pas la langue d’origine, on parlait français. Puis décide de porter bien haut les couleurs de sa double culture, kabyle par son père et française par sa mère, fière de ses origines et de son métissage. De cette prise de conscience, naitra un nouvel album, laissant pour l’instant « au repos » celui qu’elle venait de réaliser avec Dwight Richards, et qui reprenait un peu tous les styles qu’elle avait aimés dans sa jeunesse.
Ce deuxième album sera enregistré chez Greg Lampis, au Studio 149 (149studio.com) fondé par Rubaskapeu Prod., à La Trinité. Elle l’écrit en français, mais commence à prendre des cours de kabyle. C’est alors qu’elle fait la 1e partie d’Idir, « l’ambassadeur dans le monde de la Kabylie« . Elle demande à son père de traduire au moins une chanson en kabyle et de lui apprendre à la chanter. Elle se libère, quitte son « complexe d’immigré qui cache sa culture d’origine au nom de l’intégration« . À l’issue du concert, le chanteur célèbre sa démarche arguant qu’elle « actualise la tradition kabyle, et lui permet de participer à sa pérennisation« . Il l’encourage à chanter dans cette langue berbère, mais elle ne se sent pas légitime pour le faire. Il lui répond qu’au contraire, « c’est quand tu chantes en kabyle que ton âme est présente dans sa globalité (…) Il faut vraiment que tu fonces. Ça fait partie de toi« . Il n’en fallait pas plus, et demande à son père de traduire toutes ses paroles. Si Awel veut dire parole, son véritable nom de famille, Aggoun, veut dire muet. Encore une coïncidence émouvante…
Libérer la parole
Syna Awel illustre notre époque où la parole des femmes se libère, alors que des leaders politiques, aussi bien en Orient qu’en Occident, oppriment les femmes : aux USA, on interdit l’avortement, et en Afghanistan, on va jusqu’à les invisibiliser… Syna est un symbole : elle a libéré sa parole comme femme, comme kabyle et même comme conteuse. Prise dans ce tourbillon de mots grâce à sa psychanalyse lacanienne qui relie pour elle : Awel, la parole, Aggoun, les muets, et la langue kabyle qui est une partie d’elle essentielle. D’ailleurs, elle a tiré des contes des chansons de son album. Comme sa grand-mère, qui était conteuse… Lors des concerts que Syna Awel jouait avec Jean-Luc Danna devant un public plutôt jazz, elle expliquait entre chaque chanson ce qu’elle disait. À l’issue de ces soirées, on lui demandait souvent, et à son grand étonnement, où l’on pouvait trouver ses contes. Une amie illustratrice, Emilie Camatte, lui soumet l’idée de proposer ses contes à un éditeur. C’est comme ça qu’ensemble elles sortiront Amchiche aux Éditions du Jasmin. L’idée a si bien fonctionné qu’elle l’a déclinée en ateliers pour enfants, sur les thèmes de l’Identité et des Origines, et a depuis sorti deux autres albums jeunesses, deux autres contes berbères, Princesse Nelya et le temps et Princesse Nelya à contre sens, aux éditions Imago records & production (imagoproduction.com). Elle était récemment à Paris pour en faire la promotion.
Libérer la parole jusqu’à en devenir conteuse, assumer ses origines tout en pratiquant le métissage en musique, militer pour la culture et donc le lien social : l’œuvre d’une poétesse est en train de s’écrire.